Berlin Alexanderplatz : « Drame halluciné »

Burhan Qurban signe une relecture au présent du grand classique d’Alfred Döblin

Hubert Heyrendt pour La Libre

 

Présenté en Compétition de la Berlinale en février dernier, Berlin Alexanderplatz de Burhan Qurbani était le film le plus attendu par le public allemand. Et pour cause, il s’agit d’une nouvelle adaptation (de près de 3 h) du célèbre roman d’avant-garde d’Alfred Döblin, après celle de Fassbinder en série télé en 1980. Sans doute pour se distancier d’emblée de toute comparaison avec le maître de la Nouvelle Vague allemande, Burhan Qurbani choisit de transposer l’histoire dans le Berlin d’aujourd’hui, quitte à changer sensiblement la portée de l’œuvre. Alors qu’en 1929, Döblin décrivait, de façon assez prémonitoire, le contexte de misère sociale – l’Alexanderplatz et les quartiers alentour étaient plutôt mal famés à l’époque – sur lequel allait prospérer le nazisme, Qurbani se concentre surtout sur la trajectoire personnelle du personnage, même si, à un siècle de distance, le parallèle se fait naturellement entre les deux époques.

Cinéaste allemand d’origine afghane découvert en Compétition à la Berlinale en 2010 avec son premier film Shahada , Qurbani transforme le héros de Döblin en un jeune réfugié en provenance de Guinée-Bissau (Welket Bungué), qui, sur la route de l’exil, a perdu sa femme… Travailleur sans papier sur les chantiers, Francis (et non plus Franz Biberkopf) se laisse séduire par les promesses d’argent de Reinhold (Albrecht Schuch), un jeune dealer qui l’aspire dans la spirale de la délinquance. Et ce contre la volonté de la belle Eva (Annabelle Mandeng) puis de la jeune prostituée Mieze (Jella Haase) qui, toutes deux, tombent amoureuses de Francis.

À part le fait que le héros soit un migrant – thème qui fait écho à Shahada -, la dimension politique de l’œuvre passe ici au second plan. Même si Burhan Qurbani reste assez fidèle au roman de Döblin, dont il ne met en scène que les cinq derniers « livres » en en respectant plus ou moins la trame et les personnages. Se voulant plus optimiste, il se permet cependant de changer la fin et, là encore, en bouleverse pas mal le sens. Et pas de façon la plus heureuse, perdant justement le côté prophétique et désespéré du roman.

Pour tenter de retrouver le fourmillement de la langue de Döblin – que l’on compare souvent à celle du Ulysse de James Joyce -, Qurbani opte pour une mise en scène clinquante, reposant beaucoup sur les effets de style (parfois tape-à-l’œil) et sur une direction d’acteur appuyée. Notamment pour le personnage de Reinhold, campé par l’impressionnant Albrecht Schuh. Méconnaissable par rapport à son rôle dans le récent Benni de Nora Fingscheidt, celui-ci a en effet un peu tendance à tirer la couverture vers lui. Surtout, on quitte l’univers de la plèbe berlinoise des années 1920 pour celui des dealers et des boîtes de nuit, vu et revu au cinéma…