« For Sama » : Une expérience de cinéma exceptionnelle

For sama est une œuvre bouleversante et indispensable, au moment où un nouveau drame s’annonce au nord de la Syrie.

 

Laurent Cambon pour aVoir-aLire,

C’est un journal filmé. Jusque là, rien d’original. Une jeune femme filme, dans une pièce plutôt insalubre, sa petite fille Sama, à laquelle elle dédie son combat et son long métrage. Puis les bombes s’abattent dans un nuage de poussières et de cris, et l’on comprend que la réalisatrice se trouve dans un hôpital d’Alep, victime d’une nouvelle attaque par les forces russes et syriennes. L’inimaginable commence alors. L’inimaginable, car jamais on n’aura filmé la guerre et la mort de façon aussi intense et crue. L’inimaginable, car ce qui se passe pendant un peu plus d’une heure et demie, c’est ce que vivent les millions de Syriens depuis plus de cinq ans, dans le silence consternant de la communauté mondiale.

Waad Al-Khateab est une journaliste téméraire et courageuse, qui filme aux côtés de son époux, médecin dans un hôpital de fortune, l’horreur d’un massacre, dont on s’est hélas habitué, ce qui nous conduit à reléguer les images de guerre ou celles de milliers d’exilés, à un simple état du monde dramatique. Le projet même de ce film constitue un acte magistral de militantisme. La réalisatrice brandit sa caméra comme une arme, à la façon d’un Victor Hugo en son temps qui levait le vieux dictionnaire pour dénoncer l’insupportable. Elle est aidée d’un drone, qui permet de découvrir la ville d’Alep, détruite, grise et poussiéreuse, où l’on devine les morts dans chacune des maisons fracturées. La jeune femme aux yeux sublimes assume son projet militant. Elle filme des enfants en train de mourir, des parents qui hurlent la perte de leur famille, des membres arrachés, des visages ensanglantés. Elle fait ce film, car il y a une nécessité de dire au monde l’énormité du massacre, qui se déroule à quelques heures d’avion de Paris.

Le cinéma nous offre la chance de partager ce témoignage d’une rare puissance évocatrice. Il n’y a aucune intention voyeuriste dans ce récit, sinon de crier l’abandon de tout un pays par la communauté internationale, et la détresse des parcours d’exil, quand on doit tout quitter jusqu’à ses propres aspirations idéalistes, juste pour sauver sa peau.

FOR SAMA